« Promets-moi que tu ne deviendras jamais comme ton père, Henry. »
Henry lève les yeux vers le visage mouillé de sa mère. Elle n’a plus de force, sa voix est enrouillée. Il sent son petit cœur d’enfant de 10 ans se serrer. Il ne sent pas les larmes qui coulent sur son propre visage. Mais il secoue vigoureusement la tête, parce qu’il ferait n’importe quoi pour sa mère.
Si seulement il savait qui était son père. Il regarde de nouveau sa mère et elle le fixe. Elle pose une main sur sa joue et sourit. Une image lui traverse l’esprit; le souvenir d’un homme qu’il ne connait pas.
« Logan … » Un murmure, un soufflement puis plus rien. Sa mère est morte. **
La drogue s’installe dans son système et élimine tout. En passant par l’image de la vieille folle aux chats de l’autre côté de la rue jusqu’aux pensées des gens dans l’église derrière lui. Il accueille le sentiment comme les apôtres ont accueillis zombie Jésus. Le calme fait de nouveau sa place dans sa tête et Henry rigole, ses épaules se balançant au rythme des pas des passants de Los Angeles. Comment en était-il arrivé là? Drogué, pratiquement héroinoman, sans un sous, sans famille, sans amis.
Il n’a aucune idée de ce qui lui est arrivé. Une rébellion envers ses grands-parents, probablement. Un refus de se conformer, une ambition mal dirigée. Il avait cru pouvoir terminer ses études, devenir un grand entrepreneur et se faire de l’argent. Il a mal au cœur rien qu’à y penser.
Tout ça … tout ça … Y’a rien qui a fonctionné. Il sait pourquoi. C’est les voix dans sa tête, y’a que ça qui l’obsède.
Son regard vide traverse la rue pour voir l’autre femme, mendiant de l’argent non pas pour se nourrir elle mais bien pour nourrir ces foutus chats à la con. S’qu’il se boufferait un de ses chats.
**

C’est le cri d’enfants qui le réveilla cette nuit-là. Il grogna, sa main trouva instantanément son front alors qu’il avait l’impression qu’un piano venait de lui tomber en pleine gueule. Henry ouvrit les yeux, lentement mais sûrement, afin d’observer les alentours. Ce qui le surprit le plus à cet instant était le doux matériel sur lequel il était couché. Il s’était depuis longtemps habitué au carton et à la pierre; un lit étant un luxe qu’il ne pouvait se permettre. Il faisait relativement chaud, une odeur inconnue lui remplissait les narines et le faisait saliver. Mais le temps n’était pas à la nourriture. Enfin, c’était ce qu’il se disait alors que son estomac protestait. Il se redressa, remarqua les nouveaux vêtements qu’on lui avait mis sur le dos. Il balança ses pieds hors du lit, prenant le mur près de lui comme support. Sa tête lui faisait de plus en plus mal.
Il arriva au salon, où une petite fille aux cheveux aussi noirs que sa peau se tourna vers lui. Elle lui sourit et retourna son attention sur la télévision. Il sentait sa respiration devenir de plus en plus lourde et il décida de rester au salon, s’asseyant sur le petit fauteuil fleuri derrière la jeune fille. Nadine. Sa tête lui dit sans qu’il n’ait rien demandé.
Sa tête se mit à tourner, et Henry se dit que ce n’était peut-être pas seulement ce maudit don. Probablement qu’il était en manque. Sa main se posa sur le creux de son autre bras, et il regarda les nombreuses cicatrices. Ça devait faire au moins deux jours qu’il n’avait rien pris. «
Nadine. » Sa voix était faible mais Nadine, la petite fille, se retourna quand même. Elle lui pointa le bout du corridor. Henry se leva tranquillement, sa seule existence semblait vouloir sortir de tout son être. La toilette l’accueillit avec joie et il fit bien de lui rendre la pareille.
«
C’est une bonne chose. » Il ouvrit les yeux après quelques minutes d’amour avec le froid de la cuvette. Il leva la tête vers la forme qui lui tendait gentiment un verre d’eau. Il l’aggripa rapidement, vidant son contenu en moins de quelques secondes. Il redonna le verre et fixa la personne. C’était cette satanée de folle aux chats, qui se tenait tout près de lui.
Quoi? C’était quoi ce foutu bordel.
Shaika. Elle sourit, penchant la tête légèrement sur le côté. «
Les gens comme vous, il faut en prendre soin. » Elle lui serra l’épaule pour l’encourager avant de sortir de la pièce, refermant la porte derrière elle pour lui laisser assez d’intimité.
Quoi?
**
Le père de Nadine, lui expliqua Shaika la femme aux chats, avait fait partie de ce programme gouvernemental qui avait eut lieu plusieurs années auparavant à San Antonio, au Texas. Nadine n’était pas encore née à l’époque. Le père avait eut le temps de demander à sa femme de quitter la ville avant même que cette dernière ne sache qu’elle était enceinte. Il fut tué lorsqu'une expérience tourna mal et Henry essaya d'ignorer le malaise qui s'installait en lui.
Henry regarda Nadine dessiner, ses feuilles éparpillées sur la grande table devant elle. Sa mère faisait tout ce qui était en son possible pour subsister aux besoins de sa famille. Mais les temps étaient dur en Amérique. Les emplois pour les personnes de couleur se faisaient plus rares, les employeurs se faisaient capricieux. Mais elle tentait tant bien que mal d’élever sa fille avec les bonnes valeurs. Henry observa la manière à laquelle la peau de la petite fille changeait de couleur lorsqu’elle passait au-dessus d’un dessin. Si son père était mort en essayant de survivre aux « gènes » mutants, sa petite fille semblait les avoir bien assimilés.
Elle leva la tête vers lui et afficha le plus grand des sourires. Henry répondit tant bien que mal. Si Shaika l’hébergeait depuis quelques jours, il n’en ressentait pas moins le pire malaise. Elle n’avait pas les moyens de nourrir une troisième bouche, ni n’avait l’énergie pour subir les cauchemars et les cris d’Henry pendant la nuit. Le manque de codéine dans son sang le faisait souffrir et il évitait de regarder ses traits tirés le matin dans le miroir. Il fallait absolument qu’il fasse quelque chose pour ses pouvoirs.
Quelques jours plus tard, il décida d’aller s’asseoir avec Nadine sur le plancher du salon. Elle se tourna vers lui et ils se fixèrent un moment. Henry sentit ses palpitations augmenter alors qu’il tentait de contrôler les bruits environnants pour se concentrer seulement sur les pensées de Nadine. Ils restèrent ainsi une heure, sans succès. Henry répéta le même scénario plusieurs fois par jours. En vain.
C’est au bout d’un mois qu’il n’entendit plus rien. Sauf les pensées de la jeune fille.
**
Il avait trouvé ce job à la librairie du coin. Le vieux propriétaire ne voyait plus très bien et avait apprécié la manière avec laquelle Henry avait sut déchiffrer si rapidement ce que son esprit désorganisé avait voulu dire. Il était le seul employé par ici, Monsieur Ollivieri n’avait jamais engagé personne d’autre. Mais il se faisait vieux, et il devait trouver quelqu’un pour tenir le fort lorsque ses nuits devenaient pénibles. Henry s’était proposé. Il vivait encore chez Shaika, mais lui rapportait directement tout l’argent qu’il gagnait. Le peu qu’il se faisait en tout cas. C’était quand même pas si mal, être payé à lire.
Cette librairie n’était pas très populaire à Los Angeles malgré le fait qu’elle soit en plein milieu du centre ville. Quand cette bagarre eut lieue, ce froid mardi de décembre, Henry fut tout de suite sur ses pieds, en face du magasin pour observer ce qui se passait.
Il n’entendait pas le brouhaha des cris. Il ne voyait pas le sang des victimes sur le sol.
Il ne ressentait que la haine. Haine haine haine, ressentaient-ils tous. Il s’approcha du groupe de spectateurs sur le trottoir, poussant un peu pour voir ce qui se passait. Un homme étendu en plein milieu de la rue, dans la neige, venait de se faire rué de coups. Son visage était indéchiffrable mais sa peau reptilienne était particulièrement évidente. Quelque chose tomba lourd dans l’estomac d’Henry. Il eut la chair de poule lorsqu’il réalisa ce qu’il venait de se passer. Il tourna les talons lentement et se retourna au travail, les poings serrés.
**
«
Monsieur Williams n’est actuellement pas disponible pour cette entrevue, mademoiselle. Non. J’en ai rien à faire. Non. Aurevoir. » Henry regarda sa secrétaire, Valery, raccrocher le téléphone violemment. Elle leva le regard vers lui, fit le pire geste obscène avec son doigt du milieu et se remit à son ordinateur. Il partit à rire et vint s’asseoir devant elle. Le bureau était vide, aucun visiteur, aucun employés. Ce qui était assez normal vu qu’il était particulièrement tard. «
Tu devrais vraiment me mettre à la porte. J’en ai marre. » Henry continuait à ne rien dire, se contenta de sourire et de suivre le flot désorganisé de ses pensées. Il ne le faisait pas souvent aux gens de son entourage « proche » mais Valery était particulièrement marrante et les choses qui lui traversaient l’esprit lui remontait toujours le moral.
«
Et si on allait manger? Il faut bien fêter ça. » «
Fêter quoi? » Henry lui montra le résultat des derniers sondages, avec un petit sourire moqueur. Valery était son bras droit dans cette lutte (bien entendu elle n’en savait rien mais sans elle il serait probablement mort politiquement parlant – cette fille avait les meilleures ressources en ville) contre le présent maire. Il n’avait pas d’amis particulièrement très proche, il avait un peu de difficulté à laisser les gens rentrer dans sa bulle. Mais Valery se sentait bien à l’aise de se foutre de sa bulle et de l’envahir.
Elle lui vola le journal des mains, le nez pratiquement collé à la feuille. «
Quoi? Tu as attendu toute cette journée pour me le dire? C’est pas d’la bouffe qui nous faut, andouille! On va fêter ça! »